Philippe Rochot

« Je ne veux pas oublier, mais je ne veux pas être que ça ».

Le Liban, Philippe Rochot connaît bien. En 1986, le Prix Albert Londres distingue l’ensemble de ses reportages consacrés à « cette terre de sang et de miel« . Mais pour ce grand reporter de France 2, le pays reste aussi associé à ses 105 jours de captivité, à Beyrouth, en 1986. À son retour, il poursuit une brillante carrière au sein de France 2. Ses nombreux voyages lui ont inspiré plusieurs ouvrages: La Grande fièvre du monde musulman (1981), Vivre avec les Chinois (2008) et Dans l’islam des révoltes (2010), où il revient sur sa détention.

Le départ pour le Liban: « On m’a dit: ‘On va peut-être libérer les otages du Liban [Marcel Carton, Marcel Fontaine, Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat, mort en détention] avant les élections législatives françaises, est-ce que tu veux partir?’ J’avais été correspondant à Beyrouth de 1973 à 1977. Il faut plus de courage pour dire non que dire oui! »

À peine arrivé au Liban, le journaliste est enlevé à son tour. Dans son livre, Dans l’islam des révoltes, il souligne l’ironie de sa situation:

« Otage en couvrant l’affaire des otages, c’est stupide! »

La captivité: 

« Durant ma détention, je me disais parfois: voilà une belle image, voilà une belle lumière, voilà bien un son qui restitue l’atmosphère que nous vivons. Peut-être cette vision de l’événement m’a-t-elle finalement aidé à mieux supporter cette épreuve. Je connaissais de même la mentalité, l’état d’esprit, le comportement de ceux qui nous avaient capturés, car depuis plus de quinze ans je me passionnais pour le monde arabo-musulman ».

Ses 105 jours de captivité, le reporter les passe néanmoins dans l’angoisse. À chaque fois que la porte s’ouvre et que ses ravisseurs lui ordonnent de se préparer, il se pose la même question, lancinante:

« S’agit-il d’une libération, d’un transfert ou d’une exécution? »

L’après: « J’ai repris le travail assez vite, je voulais me remettre en selle. Je n’avais pas envie que l’on me colle une étiquette et être résumé ça. Je voulais rester indépendant, garder l’image du reporter. Certains réagissent très différemment, abandonnent leur travail. Moi c’était ça qui me plaisait, je ne me voyais pas faire autre chose ».

« Je suis contre les questions toutes faites. Par exemple, ça m’énerve lorsqu’un journaliste me demande si je continue à faire des cauchemars. Comme si ça allait de soi que j’en faisais! »

En parler ou non? « C’est une vraie question. Certains crient leur colère, l’affichent, d’autres cultivent le silence. Je n’en avais pas parlé au retour, par pudeur. La dernière de mes filles a appris que j’avais été otage à l’école, elle devait avoir 10 ans. Je ne lui avais pas raconté. C’est aussi pour ça que j’ai écrit le livre. Lors de sa parution, j’ai guetté la réaction de ma cadette ».

Le retour au Liban:

« On ne remet pas impunément les pieds sur les lieux d’un drame qu’on a vécu dans sa chair sans quelque appréhension ».

« Depuis ce temps-là Beyrouth a bien sûr fait peau neuve, ramassé ses décombres, ses ordures, ses cadavres, mais je n’ai pas oublié cette odeur ».

« Je n’y suis retourné qu’une fois, en 1996. La chaîne TV5 faisait un reportage sur moi, c’était sympa. L’équipe de tournage s’est rendue dans les quartiers où j’avais été détenu, sans moi. Là-bas, des gens du Hezbollah les ont arrêtés pour leur dire: ‘On sait que Philippe Rochot est là’. Ça m’a fait froid dans le dos ».

25 ans après:

« Quand je regarde en arrière, j’y vois une expérience négative, qui a fait souffrir mes proches dans l’attente de notre libération et qui m’a coupé d’un pays que j’aimais: le Liban ».

« Aujourd’hui, on m’arrête encore dans la rue. Des gens viennent me parler, ils me racontent qu’ils avaient à peine 15 ans quand ils m’ont vu à la la télé.  Je suis resté en contact avec quelques-uns d’entre eux ».

« J’entends parfois des personnes me dire: ‘Mon père parlait de vous comme d’un résistant!’ Ça fait peur, parce que je suis un mec comme un autre… J’ai résisté parce que je n’avais pas d’autre choix ».

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