« Reste à réussir le retour, et ce ne sera pas la moindre tâche ».
– Jean-Jacques Le Garrec, Évasions (2000)
Cambodge, Sarajevo, Tchad: entré à France 2 en 1976, Jean-Jacques Le Garrec a voyagé partout « là où le pouls de la planète bat le plus fort ». Au cours de l’un de ses périples, un mage lui prédit un prix renommé (il obtient le prix Albert Londres en 1993), et une longue retraite en Asie… Elle aura lieu en 2000 sur l’île de Jolo aux Philippines; il est enlevé par le groupe islamiste Abu Sayyaf. Durant ses 74 jours de captivité, le reporter tient un carnet de bord qu’il publie à son retour, après s’être évadé lors d’une opération militaire de l’État philippin contre ses geôliers.
La prise d’otages: Au début de son livre, le journaliste revient sur le moment où le reportage bascule en prise d’otages:
« Tout va déraper en cette soirée du 9 juillet où nos hôtes s’aperçoivent que, finalement, on ne détonne pas trop dans le décor, et décident de nous garder. De témoins, nous devenons acteurs, et le premier sentiment est une sorte de honte ».
Les évasions:
« Ces échappées belles à mes geôliers, ces fuites de la pensée où je m’extrayais de moi-même pour observer mon énergumène se débattre dans sa jungle, étaient autant d’évasions, de moments où je trompais en esprit la vigilance des mes ravisseurs ».
« Dans le livre, l’évasion est racontée en dix lignes. Certaines personnes sont frustrées! Mais c’est pour ça que le titre, c’est ‘Évasions’ au pluriel ».
Les ravisseurs: « Des morveux. C’est leur bêtise qui est la plus dangereuse ».
La vie sur l’île:
« Ce n’était pas l’extase, mais cette vie d’ascèse avait quelque chose de purifiant ».
« Je ne consommais pas d’alcool, pas de viande grasse, tout était clair dans ma tête. La cigale ou la fourmi qui se balade sur vos poils… Tout prend sens. On devient animal, l’esprit est lumineux, on est bien ».
« La nuit, je dormais à la belle étoile. Et la jungle, ça crie la nuit: les animaux se mettent à hurler. Ça a été le moment le plus intense de ma vie ».
Y retourner? « J’aimerais beaucoup repasser quelques nuits là-bas. Mais le président de l’époque [Joseph Estrada, qui a quitté le pouvoir en 2001] m’avait déclaré persona non grata, parce que j’avais donné une interview à CNN juste avant de monter dans l’avion. J’y critiquais l’intervention militaire, censée nous libérer, mais qui par sa violence avait surtout risqué de nous éliminer. Quelques bombes sont définitivement tombées trop près et résonnent encore dans ma tête… »
Repartir? « Un an ou deux après mon retour, j’ai essayé de repartir. Longtemps j’ai pensé que j’allais redémarrer ma carrière. Mais je n’étais plus apte. Je n’étais plus fiable dans ce genre de situation, je n’avais plus l’énergie mentale pour partir ».
« C’est la différence entre être témoin d’un événement et être touché dans sa chair. A Sarajevo, des balles m’ont brûlé les cheveux, mais là, la blessure est directe. Elle vous désagrège ».